ll peint sur des toiles, des portes, des planches, parfois même sur des portières de voiture. À travers ses œuvres éclatées, colorées, criantes, gautzoo propose un langage plastique brut, spontané, saturé de contradictions. Loin du discours policé de l’art contemporain institutionnalisé, son travail ressemble à un combat à mains nues avec l’émotion. Il n’y a pas de distance, pas de hiérarchie : tout est jeté là, sur la surface, comme un journal intime qui n’aurait jamais été relu.
« Ma conception artistique vient de mon esprit, de ce qui peut aller bien ou mal. Ma peinture reflète mon combat intérieur, mon chaos », explique-t-il.

Un univers hybride et viscéral
L’œuvre de gautzoo ne s’explique pas, elle se ressent. On y retrouve des silhouettes enfantines, des slogans hurlés à la bombe, des visages aux orbites creuses, des cœurs, des fleurs, des animaux hybrides. Le tout est souvent surchargé, entre street art, néo-expressionnisme et art brut, comme un cri pictural dans un monde saturé d’images vides.
« Rien n’est fait au préalable. Tout se crée sur le moment. Ma productivité est très variable : il y a des jours où je produis beaucoup, d’autres pas du tout. Mon art dépend de ce que j’ai vu pendant la journée, de mes voyages… même de ce que j’ai mangé », confie-t-il en riant.
Ce qui frappe d’abord, c’est la tension entre les formes naïves et l’angoisse qui suinte de chaque détail. LOVE YOU cohabite avec FUCK YOU. Les visages sourient mais pleurent. Les corps sont réduits à des squelettes, des circuits, des grilles de langage. À travers cette esthétique de la contradiction, l’artiste met en scène une époque — la nôtre — où l’amour est devenu un slogan, la parole un bruit de fond, et le corps un objet traversé d’informations.
« On s’aime d’une certaine manière, mais le plus difficile, c’est de réussir à se comprendre et à s’aimer soi-même pour commencer », ajoute-t-il.
Figures récurrentes : totems et fantômes
De toile en toile, certaines figures reviennent : un personnage au crâne vide ou circulaire, parfois rappelant un cosmonaute, un dieu moderne ou un jouet cassé. Ce "bugman" central — sans nom, sans genre — devient le fil conducteur d’un imaginaire en mutation. Tantôt sacrifié, tantôt mis en scène comme idole déchue, il est le miroir d’un moi fragmenté, multiple, pulvérisé par la société connectée.
« J’essaie d’énormément travailler les couleurs et les fonds. Je mets beaucoup de couches, comme des pages déconstruites. Il y a une impression de fouillis, mais c’est une déconstruction contrôlée », dit-il.
Les visages tristes, peints en couleurs vives, créent « une balance entre le chaos et les teintes flashy. Pour moi, c’est une fusion ».
Et d’ajouter : « Mes personnages reflètent mes démons intérieurs. »
Autour de lui gravitent des êtres plus petits : enfants, monstres, animaux, totems. Le tout compose une cosmologie fragile, un théâtre intérieur où les rôles ne sont jamais fixés. « Je n’ai pas envie de me mettre dans une case. Je ne me considère même pas forcément comme un artiste. Je veux juste provoquer des émotions dans les yeux de celui qui regarde. »


L’écriture comme cri
Les mots sont omniprésents dans l’œuvre de gautzoo. Mais ce ne sont pas des textes à lire : ce sont des impulsions à ressentir. "BLA BLA BLA", "LOVE", "EXIT", "ERROR 404", "BROCKEN", "MUM", "HATE", "GOOD LUCK"… Ils surgissent comme des éclats de pensée, des mots griffonnés sur un mur en pleine nuit. L’écriture ici est graphique, performative, cathartique.
L’artiste ne cherche pas la clarté. Il ne nous prend pas par la main. Il balance tout : les larmes, la honte, le besoin d’amour, le dégoût de soi, la confusion numérique. Dans ce langage éclaté, chacun reconnaît quelque chose de soi — sans savoir exactement quoi.
« Je déclenche plutôt des émotions dark. Le mot sad revient souvent », dit-il. Puis il sourit : « Non, je ne suis plus quelqu’un de triste. C’est fini ça. »
Entre Berlin, enfance et ruines
Certains supports parlent eux-mêmes : une portière de voiture à Berlin, couverte de symboles et de cris, transforme l’objet de déplacement en reliquaire de fuite intérieure. À travers ce geste, gautzoo sort littéralement du cadre. « Mon atelier se situe dans un garage automobile. C’est là que je trouve les portières sur lesquelles je peins. Au début je traînais dans les rues pour trouver des supports. J’aime recycler, redonner une âme à ces objets morts. »
Les références à l’enfance sont partout, mais sans nostalgie. Ce sont des restes d’un imaginaire naïf broyé par le réel. « J’aime bien mixer le côté enfantin avec l’aspect brut et street, mais avec une petite touche légère. Je n’ai pas eu une enfance facile, mais sans cette enfance je ne serais peut-être pas peintre. »
Ses voyages nourrissent aussi cet imaginaire. « Ma peinture est beaucoup impactée par mes voyages et mes émotions. Il y a beaucoup d’influences berlinoises et new-yorkaises dans mon œuvre. C’est en voyage que j’ai le plus appris sur moi. »
Même Genève s’invite dans ses figures : « Il y a cette fast life genevoise qui nous pousse à la réussite et au temps — à ce temps qui nous coûte cher et que l’on donne au travail. Prenons le temps, n’allons pas trop vite, même si moi aussi j’ai envie d’accéder à la réussite. »


Une œuvre radicalement contemporaine
Ce que gautzoo donne à voir, c’est une subjectivité en lutte. Son art est contemporain non pas parce qu’il suit une mode ou une esthétique, mais parce qu’il incarne viscéralement le malaise d’aujourd’hui. L’hyperconnexion, la saturation émotionnelle, la perte de sens, l’ambivalence affective, la confusion des signes — tout cela traverse son travail sans filtre.
« Je ne peins pas pour devenir quelqu’un ni pour suivre des trends. C’est avant tout un hobby, une manière d’extérioriser ce que j’ai dans la tête. »
Sur sa présence en ligne, il avoue : « Je ne suis pas vraiment sur les réseaux sociaux, mais je dois passer par cette étape. Ce n’est pas mon kiff. C’est pour ça que mes œuvres s’entassent dans mon atelier. »
Là où beaucoup d’artistes cherchent à théoriser, gautzoo agit. Il ne prétend pas donner des réponses. Il montre les nerfs à vif, les bugs du système, les failles du langage. Et c’est précisément dans ce refus de l’explication, dans cette brutalité poétique, que réside la force de son œuvre.
Une esthétique de l’erreur
Certains tableaux évoquent directement les codes numériques : "ERROR 404", "BLA BLA", "alphabet glitché", chiffres sans suite… Le bug devient matière première, le langage est un labyrinthe sans sortie. Ce que l’on pensait stable (l’alphabet, les couleurs, le visage) devient tremblant, liquide, manipulé.
Cette esthétique de l’erreur pourrait sembler désespérée, mais elle porte aussi une forme de résistance. Gautzoo crée un espace où l’errance est possible, où l’on n’a pas besoin d’être parfait pour exister, où le chaos devient langue intime.
Il en parle avec affection : « Ma toile préférée a été faite à Lanzarote, une île volcanique d’où j’ai ramené du sable. J’ai créé à partir de là un noir très profond. J’aime ces personnages aux traits abstraits, aux couleurs violettes. »

Dans ce monde saturé de signes, gautzoo ne cherche ni à corriger ni à réparer. Il laisse l’erreur devenir une langue vivante, un territoire où le chaos trouve sa beauté propre. Son art n’est pas un refuge mais un champ de tension, une invitation à regarder en face ce qui tremble en nous. À travers ses couches de couleurs, ses mots dissonants et ses figures inachevées, il rappelle qu’il existe une force dans le fragment, une vérité dans l’imperfection. Peindre, pour lui, c’est « redonner une âme à ce qui semblait mort » — et c’est peut-être là le geste le plus radical de notre époque.
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