« La vie est un bal masqué, tout le monde y est invité. »
— Louis Aragon
Sans doute est-ce cette phrase, tirée d’un ouvrage de Louis Aragon, qui pourrait le mieux résumer la pensée de Sonia Anderson, présidente du comité du Bal de La Sarraz. Elle propose ainsi une vision neuve et apporte à notre époque moderne un souffle de magie.

Quand les rêves féeriques rencontrent l’inclusivité d’aujourd’hui
À une époque où la fête résonne de moins en moins avec la tradition, une initiative étonnante, née dans l’ombre d’un château millénaire, entend faire renaître un art oublié : celui du bal. Pas n’importe quel bal. Un bal où chacun peut se rêver légendaire, féerique, libre. Un bal où l’histoire du lieu se marie avec les rêves du présent.
C’est ce pari un peu fou qu’a lancé un petit comité passionné en organisant un bal au Château de La Sarraz, dans le canton de Vaud. Un bal médiéval-fantastique, inclusif, sans étiquette sociale ni exigence mondaine. Une réponse contemporaine à un besoin ancien : danser ensemble, se costumer, se regarder, vivre un conte.
La renaissance d’un rituel oublié
Le bal tel qu’on le connaît évoque volontiers des scènes d’opéra, des dîners de gala ou des univers prestigieux qui peuvent parfois intimider. Toutefois, à La Sarraz, le bal devient un terrain d’expression. « On voudrait que les invités se sentent libres pour leurs tenues, et que chacun puisse être créatif. Et généralement, ça donne lieu à des tenues vraiment incroyables », explique l’organisatrice. Pas de règles rigides, pas de robe imposée : « Aucune obligation. C’est libre à chacun. Et en laissant cet espace de création, chacun peut déployer des initiatives personnelles. »
L’idée est claire : redonner aux bals leur puissance originelle, festive et collective, sans les enfermer dans des carcans sociaux. Le bal devient une performance douce, un acte poétique. Et pour cela, il fallait un lieu qui respire l’histoire.


Le Château comme scène vivante
Le choix de La Sarraz ne doit rien au hasard. Datant du XIe siècle, ce château est une figure emblématique du patrimoine vaudois. Longtemps habité par la noblesse, il s’ouvre aujourd’hui à des événements qui osent. « La baronne a habité là jusqu’à il y a peu. Je crois qu’elle est partie il y a une dizaine d’années. On a pu négocier une visite des lieux avec le personnel du château. Ils sont très ouverts. »
Ce lien entre architecture ancienne et expériences modernes est central dans la vision du comité : « On essaie de s’accorder un peu avec le thème des lieux. À Ferney-Voltaire, notre prochain bal sera plutôt dans un thème XVIIIe siècle. Bal des philosophes, siècle des Lumières. Pour le bal de La Sarraz, nous avons choisi un imaginaire davantage féerique, médiéval. »
Une initiative née d’un rêve personnel
Derrière ce projet, il y a aussi une histoire intime. Celle d’une passionnée, marquée par ses voyages et ses émerveillements. « J’étais très fan d’Elfia, ce festival en Hollande. Ça se passe au château d’Haar, c’est juste magnifique. Et j’ai toujours rêvé de participer aux grands bals aux États-Unis, mais bon… prendre un avion pour une soirée à New York, c’est un peu extrême. »
Constatant que la Suisse ne proposait que peu d’alternatives réellement accessibles, elle a décidé de créer ce qu’elle n’avait jamais trouvé : un bal ouvert, sans barrières. « J’ai l’impression qu’en Suisse, ce n’est pas encore très répandu. Il y en a, mais ce sont des bals sur invitation uniquement, contrairement à Vienne par exemple. »


Un comité jeune, divers, passionné
L’événement est porté par une équipe de cinq personnes, toutes bénévoles, venues d’horizons très différents. « Il y en a qui sont enthousiasmés par la découverte de lieux emblématiques, d’autres par le cosplay, l’univers fantastique. » Le projet est chronophage, mais pétri d’enthousiasme. « C’est vrai que ça prend du temps, surtout en ayant un travail à côté. Mais on est tous un peu passionnés. »
Le comité espère accueillir une cinquantaine de personnes pour cette première édition, mais le château pourrait en recevoir jusqu’à 150. « Je trouve que c’est bien qu’on soit en petit comité. Que ce soit agréable pour tout le monde. »
Une soirée immersive et vivante
Le programme du bal est pensé comme une fresque vivante. Visite du château en début d’après-midi, concert intimiste au piano dans une salle classée, initiation à la valse puis à la bachata, buffet raffiné, espace photo avec vidéaste… Rien n’est laissé au hasard. « On a voulu allier le côté historique, le festif, le dansant, le fantastique. »
Le tout sans place assise attitrée. « C’est centré sur la danse, la musique, les échanges. » L’invité devient acteur de la soirée, et non simple spectateur.


L’art de la fête, sans but lucratif
Contrairement aux idées reçues, l’événement ne cherche pas à engranger des bénéfices. « Organiser un bal est rarement rentable. Nous faisons cela par pure envie de porter ce projet et de vivre cette aventure. » L’organisatrice précise : « Si un jour on fait des bénéfices, on les réinjectera dans d’autres événements, ou peut-être dans une cause. Moi, j’ai toujours soutenu la cause animale, mais c’est compliqué, surtout pour une première édition, de dégager des bénéfices. »
Le succès croissant de ce genre d’événements – comme les bals immersifs organisés à Zurich ou les soirées costumées à Lausanne – montre une soif nouvelle : celle d’expériences culturelles et incarnées. Où la fête devient rite. Où la beauté redevient un langage commun.
Le bal de La Sarraz, en ce sens, n’est pas un retour en arrière, mais un pas de côté. Une faille enchantée dans le quotidien. Et peut-être, une manière d’inventer une modernité plus douce, plus lente, plus partagée, plus unique.
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