L’intimité capturée : une rencontre avec Yigal Ozeri, maître du photoréalisme poétique

Publié le 1 juillet 2025 à 17:58

“ Il y a des artistes que l’on rencontre avant même de les connaître. Leurs œuvres vous happent, vous traversent, s'impriment en vous comme un souvenir ancien. C’est ainsi que j’ai découvert Yigal Ozeri. C’était il y a quinze ans, à la foire Scope Art. Une toile immense — trois femmes dansant nues dans un champ — m’a stoppée net. J’ai ressenti cette chose rare, presque physique : un mélange de douceur, de liberté, et de mystère. Derrière la surface lisse du réalisme, une faille s’ouvrait, poétique et vertigineuse” . C’est ainsi que l’épouse d’Ygal a décrit sa première rencontre à la fois avec l’art et la personne d’Ygal Ozeri. 

Et il est vrai qu’il y a dans son art quelque chose de captivant. À première vue, je me demandais si l’attention de mon regard avait été saisie par la technique. L’interrogation : est-ce une photo ? Quel est le support de réalisation ? Ces beautés existent-elles ou sont-elles générées par IA ? Mais non, cela allait bien plus loin que cela. Yigal Ozeri met dans ses toiles de la douceur et de la poésie. Une fragilité féminine. Quelque chose qui transcende la simple technique hyperréaliste.


À Art Basel, c’est enfin l’homme derrière l’image que j’ai eu la chance d’interviewer. D’un calme étonnant, regard perçant mais sourire tranquille, il parle comme il peint : sans fioritures, mais avec précision, intuition et sincérité. “Je continuerai de peindre jusqu’au dernier jour”, me dit-il sans hésiter. “C’est la seule chose que j’essaie de faire. Donner un peu de beauté au monde. Voir un sourire sur le visage de quelqu’un devant une toile, c’est ça, mon but.” Son humilité désarme. Car derrière cette simplicité se cache un parcours immense.

Une trajectoire d’abstraction à l’intime

 

Yigal Ozeri commence sa carrière dans les années 2000 comme peintre abstrait. Il est rapidement reconnu, exposé, collectionné. Mais très vite, il ressent un besoin de changement. “Le photoréalisme m’a appelé. C’était une façon de me reconnecter à quelque chose de plus profond, de plus direct.” Il s’éloigne des formes pour revenir au visible, mais sans jamais céder au pur mimétisme. “Photographier, c’est le point de départ. Je prends des centaines de clichés, des vidéos aussi. Ensuite, je manipule l’image, je transforme, je compose… Ce que je peins, ce n’est pas la réalité, c’est l’émotion que je veux transmettre.

Ses sujets ? Essentiellement des femmes. Dans la nature. En mouvement, souvent nues, mais jamais offertes au regard de manière vulgaire. “Je ne travaille pas avec des mannequins. Je cherche des personnes. Des âmes. Des êtres qui portent quelque chose, un éclat, une fragilité, un mystère.” Il me confie qu’il ne dirige presque jamais ses modèles. Il place simplement la caméra à bonne distance, et les laisse être. “Je veux qu’elles oublient l’appareil, qu’elles retrouvent leur liberté. C’est à ce moment-là que la magie opère.

Une vision de la femme libre, forte, intuitive

On pourrait, de l’extérieur, critiquer l’abondance de nus dans son travail. Mais il suffit de l’écouter parler pour comprendre que chez Ozeri, la nudité n’est ni érotique ni décorative. Elle est politique, presque mystique. “Je ne peins pas de corps. Je peins des présences. Des êtres vivants dans un monde vivant.” Il refuse toute objectification. Pour lui, peindre une femme, c’est explorer sa relation à la nature, à elle-même, à la solitude. “Les femmes sont, pour moi, les êtres les plus forts au monde. Elles ont une sensibilité immense. Elles sont capables d’intimité avec elles-mêmes, avec leur environnement. Les hommes, souvent, en sont coupés.

Dans ses œuvres, on les voit marcher seules sur des plages, s’allonger dans l’herbe, danser au milieu des arbres, cheveux au vent. Rien n’est figé, tout est mouvement, souffle, respiration. “Il y a toujours un combat”, ajoute-t-il. “Femme contre nature. Femme dans la nature. Femme avec la nature. Et souvent, c’est la femme qui gagne.” Une manière aussi, peut-être, pour lui de conjurer ses propres peurs. “J’étais terrifié par la nature quand j’étais jeune. Y aller seul, c’était impensable. Peindre ces scènes m’a aidé à affronter cette phobie. À apprivoiser le sauvage.”

Des séries emblématiques : de la solitude urbaine à la liberté sauvage

 

Si l’on connaît surtout Yigal Ozeri pour ses grandes toiles féminines bucoliques, son œuvre ne se résume pas à cela. Il a aussi consacré plusieurs séries à des scènes de vie urbaine — cafés, métros, rues américaines. Dans sa série Subway, il capte la tension suspendue entre des inconnus plongés dans leurs pensées. “J’aime peindre l’attente. Le silence. Ce qui se joue sans mot.” Ce sont des tableaux vibrants, où l’on devine les battements de cœur derrière les visages. “C’est un autre type d’intimité. Celle que l’on ressent quand on partage un lieu avec quelqu’un sans se connaître. On devient témoin, sans le vouloir, de la vie des autres.

La série Americana reflète une autre facette de son regard. Là encore, il ne s’agit pas de chroniquer l’Amérique mais de l’évoquer à travers des fragments, des moments d’énergie. “Je ne fais pas de politique. Mais je peins un pays. Et ce pays, c’est aussi une idée : celle de la liberté.” Des jeunes femmes assises sur le capot d’une voiture, un coucher de soleil, un mouvement de cheveux dans le vent. Autant de détails qui forment une vision à la fois nostalgique et vivante d’un rêve américain devenu intime.

Une peinture de l’émotion

 

Ce qui frappe, chez Ozeri, c’est cette capacité à convoquer l’émotion sans jamais l’imposer. Chaque tableau est une expérience ouverte. “Tout dépend du jour, de l’heure, de la personne. Une même toile peut rendre quelqu’un joyeux, un autre mélancolique. Comme un paysage. Il ne change pas, mais nous, oui.” Il insiste : “Ce que je cherche, ce n’est pas à choquer, ni à impressionner. C’est à faire ressentir. Si un tableau provoque une émotion, alors il est réussi.

Il évoque la notion d’énergie, si difficile à définir, et pourtant si centrale. “Il y a une énergie dans chaque peinture. Quelque chose qui passe, qu’on ne maîtrise pas. L’artiste choisit où mettre la lumière, quels détails sublimer, et cela crée un effet. C’est subtil, mais essentiel.” Et de conclure : “Je veux que mon art soit absorbable. Que l’on puisse y disparaître. Comme dans un poème.”




La peinture comme acte poétique

 

Justement, la poésie. Elle n’est jamais loin dans ses propos, ni dans ses tableaux. “Pour moi, être peintre, c’est un peu comme être poète. Mais la poésie, c’est l’art le plus difficile. Parce qu’elle dit tout en très peu de mots. Elle évoque plutôt qu’elle ne montre. Un vrai poète, en deux vers, peut contenir le monde entier.” Il admire cette capacité à suggérer, à laisser de l’espace. Son propre travail cherche cela : une densité qui n’écrase pas, un silence qui parle.

Lorsqu’il peint, il pense souvent en termes poétiques. Il parle d’intimité, de modestie, de beauté discrète. “Je n’aime pas ce qui est criard. Il y a des artistes qui font du bruit. Moi, j’essaie de faire de la place.” Pour lui, l’art est un lieu de retrait. Un refuge contre le vacarme. Une invitation à regarder plus lentement, à sentir plus profondément.




Une quête : l’intimité

 

Si un mot devait résumer son œuvre, ce serait celui-là. Intimité. Pas au sens romantique, ni sexuel. Mais au sens existentiel. “C’est ce que je poursuis depuis toujours. Cette sensation de proximité avec l’autre, avec soi-même, avec le monde.” Dans un monde saturé d’images, où tout est instantané, il propose l’inverse : du temps, du silence, de l’attention.

Art Basel a été, pour lui, le début de cette rencontre entre les styles, les cultures, les visions. Il y expose chaque année, sans jamais se répéter. “L’art évolue. Moi aussi. Mais ce que je cherche reste le même. Une forme de vérité douce. Un miroir de l’âme.”




English Version

Intimacy Captured: A Meeting with Yigal Ozeri, Master of Poetic Photorealism

"There are artists you encounter before ever truly meeting them. Their works grab you, run through you, and imprint themselves on your memory like something ancient. That’s how I discovered Yigal Ozeri. It was fifteen years ago, at the Scope Art Fair. A huge canvas—three women dancing naked in a field—stopped me dead in my tracks. I felt something rare, almost physical: a blend of softness, freedom, and mystery. Beneath the smooth surface of realism, a crack opened—poetic and dizzying. This is also how Yigal’s wife described her first encounter, both with his art and with the man himself.

And indeed, there is something captivating in his work. At first glance, I wondered if what had seized my gaze was the technique. The question: is it a photograph? What medium is used? Do these women exist, or are they AI-generated? But no—it goes far beyond that. Yigal Ozeri infuses his paintings with softness and poetry, with feminine fragility. Something that transcends hyperrealist technique alone.

 

At Art Basel, I finally had the chance to meet the man behind the image. Strikingly calm, with piercing eyes and a gentle smile, he speaks the way he paints: without embellishment, but with precision, intuition, and sincerity.
“I will keep painting until my last day,” he told me without hesitation. “It’s the only thing I’m trying to do—bring a little beauty into the world. See a smile on someone’s face in front of a painting—that’s my goal.”
His humility is disarming. Because behind this simplicity lies an immense journey.

 

From Abstraction to Intimacy

 

Yigal Ozeri began his career in the early 2000s as an abstract painter. He quickly gained recognition, exhibited widely, and was collected by many. But soon, he felt the need for change. “Photorealism called to me. It was a way to reconnect with something deeper, more direct.” He moved away from forms to return to the visible—without ever slipping into pure mimicry. “Photography is the starting point. I take hundreds of photos, even videos. Then I manipulate the image, transform it, compose… What I paint isn’t reality—it’s the emotion I want to convey.”

His subjects? Mainly women. In nature. In motion, often nude, but never exposed in a vulgar way. “I don’t work with models. I look for people. Souls. Beings who carry something—a spark, a fragility, a mystery.” He confides that he almost never directs his subjects. He simply sets the camera at a distance and lets them be. “I want them to forget the camera, to find their freedom. That’s when the magic happens.”

A Vision of Women: Free, Strong, Intuitive

 

One could, from the outside, critique the abundance of nudes in his work. But all it takes is listening to him speak to understand that, in Ozeri’s work, nudity is neither erotic nor decorative. It is political—almost mystical.
“I don’t paint bodies. I paint presences. Living beings in a living world.”
He refuses any form of objectification. For him, painting a woman means exploring her relationship with nature, with herself, with solitude. “Women are, to me, the strongest beings in the world. They have immense sensitivity. They are capable of intimacy—with themselves, with their environment. Men are often cut off from that.”

In his works, women walk alone on beaches, lie down in the grass, dance among trees, hair blowing in the wind. Nothing is frozen; everything is movement, breath, and sensation. “There is always a kind of battle,” he adds. “Woman against nature. Woman in nature. Woman with nature. And often, it’s the woman who wins.” Perhaps a way, too, for him to face his own fears.
“I was terrified of nature when I was young. Going alone into it was unthinkable. Painting those scenes helped me face that phobia. To tame the wild.”

From Urban Solitude to Wild Freedom

 

While Ozeri is best known for his large, bucolic canvases of women, his work extends far beyond that. He has also dedicated several series to urban life—cafés, subways, American streets. In his Subway series, he captures the suspended tension between strangers lost in thought. “I love painting waiting. Silence. What happens without words.” These are vibrant paintings, where one senses heartbeats behind still faces. “It’s another kind of intimacy. The kind you feel when sharing a space with someone you don’t know. You become a witness, unintentionally, to someone else’s life.” The Americana series reveals yet another side of his gaze. Once again, it’s not about chronicling America but evoking it through fragments, bursts of energy.
“I don’t do politics. But I paint a country. And that country is also an idea: freedom.” Young women sitting on a car hood, a sunset, a strand of hair caught in the wind—so many details that shape a vision both nostalgic and vivid of a very personal American dream.

Painting Emotion

 

What’s most striking in Ozeri’s work is his ability to summon emotion without ever imposing it. Each painting is an open experience. “It all depends on the day, the time, the person. The same painting can make someone feel joy, and another, melancholy. Like a landscape—it doesn’t change, but we do.” He insists: “I’m not trying to shock or impress. I’m trying to make people feel. If a painting evokes emotion, then it’s a success.”

He speaks of energy—so difficult to define, yet so central. “There is energy in every painting. Something that passes through, that we don’t control. The artist chooses where to place the light, which details to enhance—and that creates the effect. It’s subtle, but essential.” And he concludes: “I want my art to be absorbable. That you can disappear into it. Like into a poem.”




Painting as Poetic Gesture

 

Poetry is never far from his words, nor from his canvases. “For me, being a painter is a bit like being a poet. But poetry is the hardest art. Because it says everything in very few words. It evokes rather than shows. A real poet, in two lines, can hold the whole world.”


He admires this ability to suggest, to leave room. His own work seeks this too: a kind of density that doesn’t overwhelm, a silence that speaks. When he paints, he often thinks poetically. He speaks of intimacy, modesty, and quiet beauty. “I don’t like what’s flashy. Some artists make noise. Me—I try to make space.” For him, art is a retreat. A shelter from the noise. An invitation to look more slowly, to feel more deeply.

A Lifelong Quest: Intimacy

 

If there were one word to sum up his work, it would be this: intimacy.
Not in the romantic or sexual sense—but in the existential sense.
“That’s what I’ve always been after. That feeling of closeness—to others, to yourself, to the world.” In a world saturated with images, where everything is instantaneous, he offers the opposite: time, silence, attention.

Art Basel, for him, marked the beginning of a space where styles, cultures, and visions meet. He exhibits there each year, without ever repeating himself. “Art evolves. So do I. But what I’m looking for stays the same. A kind of gentle truth. A mirror of the soul.”





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